Actualités rss
02/04/2015

La longue marche des services au domicile


Entretien avec André Flageul, président honoraire d'UNA
Propos recueillis par Philippe Frémeaux
Les Dossiers d'Alternatives Economiques Hors-série n° 001 - avril 2015

 

Comment l'aide à domicile s'est-elle constituée ?

L'aide à domicile, comme système d'offre articulant soins et accompagnement, est la résultante d'une construction collective entre les dynamiques associatives, qui souvent précèdent l'action de l'Etat, et les initiatives des collectivités territoriales (centres communaux d'action sociale), auxquelles se sont joints les financeurs, dans un premier temps les caisses de retraite, puis l'Etat et les départements. C'est bien une réponse aux attentes de nos concitoyens et aux évolutions sociétales.

Le rapport Laroque, en 1962, marque à cet égard une rupture en affirmant la nécessité pour l'Etat de développer une politique de la vieillesse qui donne toute leur place aux personnes âgées dans la société…

En amont et en aval du rapport Laroque, les associations qui développaient des services au domicile au profit des personnes âgées ont considéré que l'enjeu était bien de donner toute leur place à ces dernières dans la société. Avec, dès le départ, le souci de répondre à deux questions : satisfaire les attentes des personnes en leur permettant de rester dans leur cadre de vie habituel, afin de respecter leur identité individuelle, et répondre, en parallèle, à une préoccupation d'intégration sociale. Cette double aspiration est au coeur de l'histoire du maintien à domicile.

 

Mais il a fallu que les pouvoirs publics s'en mêlent pour assurer un financement pérenne des prestations d'aide et de soins…

A commencer par les caisses de retraite, qui se sont fortement impliquées dans le financement de l'aide ménagère, puis par l'Etat et les collectivités territoriales. Aujourd'hui, la coopération entre les départements et nos services est quotidiennement à l'oeuvre et au niveau national, cette coconstruction a permis des avancées significatives (loi n° 2002-2, création de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie [CNSA]).

Mais on assiste aussi, en exagérant le principe du "qui paie décide", à des processus d'instrumentalisation, d'uniformisation, renforcés par des procédures d'appels d'offres. A nous de conserver notre capacité d'initiative et d'innovation issue de notre connaissance du terrain.

D'autant qu'il a toujours fallu se battre pour faire bouger les pouvoirs publics…

L'aide à domicile demeure marquée par la grande lenteur avec laquelle ont été construites les politiques publiques destinées à assurer l'autonomie des personnes à tout âge. A la différence des grands régimes de protection sociale fondés sur une logique d'assurance sociale qui garantit des droits identiques à chacun, les politiques du domicile sont demeurées longtemps dans une logique d'aide sociale avec des prestations facultatives et discrétionnaires. La création de l'allocation personnalisée d'autonomie (APA), prestation légale, a corrigé cela en 2002, en dépit de ses limites. Mais combien de temps a-t-il fallu pour en arriver là ! Peu de secteurs ont droit à autant de rapports et à aussi peu de décisions et on l'observe encore aujourd'hui avec le retard pris par la loi d'adaptation de la société au vieillissement.

Comment expliquer cette lenteur ?

Par des avancées et des reculs, des changements d'orientation et des contradictions des politiques. Le rapport Laroque portait une vision éthique de la place des personnes âgées dans la société, il parlait de logement, d'aménagement urbain, d'aide à domicile, de services de proximité (foyers-restaurants, clubs du troisième âge…). Mais dans les décennies suivantes, la réponse médicale s'est parfois imposée au détriment de cette vision sociétale et éthique. L'autonomie s'est alors effacée derrière la dépendance, le citoyen devenant usager, voire patient.

La dépendance renvoie à une conception de la personne réduite à un cumul de déficits qu'il faut compenser par des actions ciblées. Une vision fonctionnelle des choses et non pas relationnelle. En vérité, nous sommes tous dépendants, puisque l'essence même du lien social est de nous rendre interdépendants ! La réflexion conduite par la CNSA a mis sur le devant de la scène l'approche par l'autonomie et a préconisé la mise en place d'un droit à compensation universel quel que soit l'âge. Préconisation malheureusement aujourd'hui non suivie d'effet. Les prestations continuent d'opposer les personnes âgées avec l'APA et les personnes en situation de handicap avec la prestation de compensation du handicap (PCH), alors qu'il serait cohérent d'aller vers une prestation unique. Enfin, on reste dans une logique de financement de type solidarité avec des enveloppes prédéfinies, et non d'assurance sociale, où le risque est garanti pour tous quelle que soit sa situation. En témoigne la question récurrente de la récupération sur succession [1], qui pour l'heure ne semble pas d'actualité.

A cela s'ajoute la difficile reconnaissance des métiers du domicile…

Avec la montée du chômage de masse, les emplois du domicile ont été l'otage des contradictions entre politiques sociales et politiques d'emploi. Philippe Séguin, Martine Aubry, Jean-Louis Borloo ont privilégié le regard sur notre secteur comme gisement d'emplois. Au-delà, la difficulté à construire un nouveau secteur professionnel tient au fait que la conviction implicite des décideurs est que l'aide et l'accompagnement ne sont pas de vrais métiers, et que les "solidarités naturelles" portées par les femmes, elles-mêmes "naturellement aidantes", vont prendre en charge le problème. Cela a freiné la professionnalisation. Ce qui est jugé normal pour la petite enfance, afin de permettre aux femmes d'entrer et de rester sur le marché du travail, a du mal à s'affirmer quand il s'agit de venir aider et accompagner les personnes âgées en perte d'autonomie… Encore aujourd'hui, nous devons faire reconnaître que l'accompagnement est aussi noble que le soin, puisqu'il concourt au bien-être global de la personne et donc à son bon état de santé, au sens où l'entend l'Organisation mondiale de la santé…

L'avenir du domicile, n'est-ce pas aussi reconnaître la place des aidants ?

Oui. Et nous qui avons été très préoccupés à juste titre par la professionnalisation, nous devons mettre davantage l'accent sur la nécessité d'articuler l'action des professionnels avec celle des aidants, qu'il s'agisse des proches ou du voisinage, dans l'élaboration de nos plans d'aide. Or c'est absolument essentiel, car l'aide professionnelle ne pourra jamais se substituer aux aidants familiaux. D'où la nécessité de reconnaître un statut aux aidants, de financer des temps de répit et de mettre en place des dispositifs d'accompagnement. Pour conclure, sur tous les sujets que nous avons abordés, il est temps que les politiques arrêtent de se dérober et répondent vraiment au défi sociétal que constitue la perte d'autonomie.

  • (1) Qui consiste à faire payer par les héritiers les dépenses sociales engagées par les conseils départementaux pour la prise en charge de personnes dépendantes en fin de vie.