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06/05/2015

Une histoire de chiffres et de choix - Edito d'Yves Vérollet du 4 mai 2015


En quelques mois, trois rapports aux objectifs différents apportent des indications sur les emplois dans notre branche et pour l’un d’entre eux trace des perspectives d’évolution possible. Une lecture trop rapide laisserait penser qu’ils comportent de fortes contradictions, tant les constats de l’un (le rapport de la branche) et même de l’autre (DARES sur les SAP) semblent éloignés de celles du rapport de France Stratégie – Dares sur l’évolution des métiers et des emplois qui vient d’être publié.

Notre branche vit une période difficile. Elle doit faire face à des enjeux de professionnalisation des salariés, des pratiques, de rapprochement et de coopération avec le système de soins, de coexistence – concurrence - avec les branches du lucratif, en développement, et du particulier employeur. Elle doute aujourd’hui de son avenir.

Le rapport de la DARES sur les services à la personne [1] (SAP) indique qu’en 2013, l’activité générale dans ce secteur recule de 3,5 %. Cette baisse, plus marquée que les années précédentes, résulte surtout d’un fort repli des heures rémunérées par les particuliers employeurs (-5,8 %), mais l’activité des organismes prestataires, qui progressait régulièrement ces dernières années, marque le pas. Une impression de stagnation ou pour le moins de vases communicants entre les « familles » des SAP ressort donc de ce document. Le rapport de branche, sorti à la même période confirme un recul  du secteur non lucratif. Pour la DARES, le volume d’heures rémunérées par les associations continue de diminuer (-3,2 % en 2013 comme en 2012).

Tout semble différent à la lecture du rapport France Stratégie  - DARES. Depuis la fin des années 1990, les exercices de « Prospective des métiers et qualifications » sont pilotés, en partenariat étroit avec la Dares, par le Commissariat général du Plan, puis le Centre d’analyse stratégique (CAS), et, depuis 2013, le Commissariat général à la stratégie et la prospective – France Stratégie. L’évolution conjoncturelle des dernières années, marquée par les conséquences de la crise de 2008 sur l’emploi, a conduit France Stratégie et la Dares à actualiser les projections 2020 et réaliser un exercice à l’horizon 2022.

Ce rapport actualisé confirme quelques tendances lourdes. Ainsi, la tertiarisation des emplois se poursuivrait. Les métiers du commerce et des services devraient continuer à se développer, avec notamment de fortes créations d’emploi dans les professions du soin (à l’exception des médecins) et des services aux personnes.

Aides à domicile, aides-soignants et infirmiers figureraient ainsi parmi les métiers qui gagneraient le plus d’emplois à l’horizon 2022, avec de l’ordre de 350 000 créations nettes en dix ans. Le métier d’aide à domicile serait même celui qui créerait le plus de postes sur les dix années à venir, aussi bien en termes de taux de croissance qu’en nombre de postes (près de 160 000 postes créés d’ici 2022, soit une hausse de 2,6 % en moyenne chaque année). S’ajouteraient pour les aides à domicile autant de postes à pourvoir liés aux départs en retraite (soit de l’ordre de 320 000 emplois au total).

La contradiction entre les trois rapports n’est qu’apparente. Le vieillissement de la population engendre en effet des besoins croissants en matière de soins et d’accompagnement de la dépendance dans un contexte « où les possibilités de prise en charge par les familles tendent à se réduire avec la poursuite de la hausse du taux d’activité des femmes après 45 ans et la fragmentation croissante des structures familiales ». Il existe aussi des besoins encore insatisfaits de prise en charge des jeunes enfants. Dans notre branche, les évolutions sont liées en partie aux changements sociologiques cités ci-dessus mais en partie aussi aux choix que feront les pouvoirs publics. Les aspects positifs sur l’emploi de ces changements peuvent être annihilés s’ils ne sont pas accompagnés d’encouragements clairs des décideurs publics.

En effet l’exercice de France Stratégie – Dares n’est pas un travail de prédiction. Il ne vise pas à dire le temps qu’il fera en 2022 mais doit servir à anticiper pour agir. « L’exercice de prospective vise également à identifier les risques qui peuvent affecter les potentiels de créations d’emploi », indique le texte. Et ces risques pour notre secteur sont bien identifiés et tiennent pour l’essentiel aux contraintes budgétaires et aux décisions en matière d’aide à l’emploi. Le rapport pointe aussi d’autres facteurs tels que les difficultés de recrutement, le nombre de jeunes formés, l’attractivité de ces métiers, leur taux de pénibilité, le turn-over, etc. Cela renvoie à la capacité de pouvoir mener une politique conventionnelle dynamique. Il incite au demeurant à confronter et compléter les résultats par d’autres analyses, au niveau des branches en particulier.

Les pouvoirs publics sont devant un choix clair : soit la poursuite de la politique actuelle qui provoque au mieux la stagnation, au pire le recul dans un secteur où les besoins sociaux sont énormes ; soit la réorientation de certains pans de sa politique financière, fiscale et sociale pour donner un coup de fouet à l’emploi dans cette branche.

 

Le débat sur les résultats du CICE est désormais lancé jusque dans les rangs du parti au pouvoir. Depuis la fin de l’année 2012, nous demandons une mesure analogue pour le secteur non lucratif. Aucun risque, si la décision est prise que la mesure ne disparaisse dans une hausse des dividendes !

Dans la foulée de la Cour des Comptes et du CESE, nous demandons une certaine redirection d’une petite partie des aides fiscales générales des SAP vers les publics les plus fragiles.

Le gouvernement annonce des baisses d’impôt. Une mesure efficace pour booster l’emploi serait d’instaurer le crédit d’impôt pour l’emploi à domicile que réclament toutes les organisations de retraités. Il bénéficie depuis 2007 aux personnes en activité mais pas aux retraités. Les gouvernements successifs s’y sont refusés. 

D’autres propositions existent mais si celles qui viennent d’être citées étaient mises en œuvre, elles rentreraient dans les politiques fiscales et sociales actuelles et ne généreraient pas de dépenses nouvelles car les créations d’emploi auraient tôt fait de provoquer des rentrées de cotisations sociales bien supérieures aux éventuelles dépenses supplémentaires.



[1] Rapport publié en février 2015. Lire édito du 8 avril :  « Le secteur non lucratif doit assumer son leadership »